The American Dissident: Literature, Democracy & Dissidence


Léo Ferré—Critical Poem

En France, la poésie est concentrationnaire. Elle n'a d'yeux que pour les fleurs; le contexte d'humus et de fermentation qui fait la vie n'est pas dans le texte. On a rogné les ailes à l'albatros en lui laissant juste ce qu'il faut de moignons pour s'ébattre dans la basse-cour littéraire. Le poète est devenu son propre réducteur d'ailes, il s'habille en confection avec du kapok dans le style et de la fibranne dans l'idée, il habite le palier au-dessus du reportage hebdomadaire. I1 n'y a plus rien à attendre du poète muselé, accroupi et content dans notre monde, il n'y a plus rien à espérer de l'homme parqué, fiché et souriant à l'aventure du vedettariat. Le poète d'aujourd'hui doit être d'une caste, d'un parti ou du Tout-Paris. Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé. Enfin, pour être poète, je veux dire reconnu, il faut "aller à la ligne ". Le poète n'a plus rien à dire, il s'est lui-même sabordé depuis qu'il a soumis le vers français aux dictats de l'hermétisme et de l'écriture dite « automatique ».

La Mauvaise graine
J’suis ni l’œillet ni la verveine
Je ne suis que la mauvais’ graine
Ils m’ont semée comme un caillou
Sur un chemin à rien du tout
Mêm’les corbeaux me font la gueule
Leur pauvr’gueule qui s’en va tout’ seule
Quand y’a plus rien dans leurs frichti   (bouffe, cuisine)
Et qu’il fait froid et qu’il fait gris
Je ne suis ni l’œillet ne la verveine
Je ne suis que la mauvaise graine

J’suis pas du blé qu’on met en gerbe
Je ne suis que la mauvaise herbe
Qui dresse son cou dans les champs
Quand par hasard vient le printemps
Mêm’les brebis font des manières
Et préfèr’nt l’herbe buissonnière
Cell’ qui va tout droit chez l’client
Sur un coup d’œil où en sifflant…
J’suis pas du blé qu’on met en gerbe
Je ne suis que la mauvaise herbe

J’suis ni untel ni machin chouette
Je ne suis que la mauvais’ tête
Qui met des vers où c’qui faut pas
En comptant bien sur ses dix doigts
Mes amis ne compren’nt rien aux choses
Ils dis’nt que c’est la mauvaise cause,
Que j’râle toujours, qu’ça fait du tort
Qu’il faut fair’ un petit effort
Bien vrai ! mon Dieu c’est pas la peine
Ils connaiss’nt pas la mauvais’ graine

Aux sans œillet aux sans verveine
Je dédie la mauvaise graine
Qu’ils sèmeront comme un caillou
Sur des chemins à rien du tout
Et des fleurs noires tout en gerbe
Fleuriront sur de nouveaux verbes
Des fleurs d’amour des fleurs de rien
Des fleurs aussi comme un destin
Quand sur l’œillet et la verveine
Poussera la mauvaise graine…